❝ L'Art de l'oisiveté ❞ d'Hermann Hesse
❝ Entre-temps, un des longs nuages s’était glissé au-dessus des autres. Rose et seul dans le vert du ciel, il flottait (lui aussi apparemment immobile, comme coulé dans du métal). Puis, tout à coup, il s’enflamma, tel du cinabre clair, prit la forme enchanteresse d’un poisson et, devenu carassin doré gigantesque et resplendissant avec une petite nageoire ventrale bleue, il nagea, souriant et infiniment joyeux, vers la mort qui l’attendait. La lumière s’apprêtait à disparaître tout à fait, et mon poisson n’avait plus que quelques instants à vivre. Déjà sa queue devenait plus brune et plus lourde, son ventre plus bleu ; déjà le vermillon clair et le jaune doré ne luisaient plus que sur la partie supérieure de son dos. En un éclair, il rentra sa queue, gonfla sa tête et devint tout rond. ❞
Extrait du texte "Nuages du soir".
Traduit de l'allemand par Alexandra Cade
Hermann Hesse se livre ici, sous nos yeux. C’est un recueil de petits textes assez courts qui ont des sujets différents.
Ces textes ont été écrits entre 1899 et 1959, mais quand il parle de la société dans laquelle il vit, ses changements, ses vices, il nous semble que c’est aujourd’hui. Rien n’a changé ? Pas du tout, c’est peut-être tout simplement que la grosse machine de l’homme moderne s’est mise en marche devant les yeux d’Hermann et ne s’est toujours pas arrêtée.
Il nous parle des rencontres qu’il fait, de ce monde qui grouille devant ses yeux mais qu’il rejette plus que tout, ce monde qu’il préfère regarder de loin, comme lorsqu’il peint son village, assis sur un pan de colline. Il nous parle de musique, de littérature, de la guerre un peu, un tout petit peu, et puis de ses impressions, de son ressenti, des choses qu’il voit et que les autres ne voient pas « […] j’aperçois dans notre village des choses que les gens, à leur tour, ne voient pas. Personne ne remarque que là derrière, le mur recouvert d’un crépi blanchâtre qui s’effrite attire la teinte bleue du ciel et la répand sur la terre. ». Oui c’est beau et c’est poétique aussi.
On se plonge dans l’univers marginal d’Hermann, on savoure ses descriptions, on rit de son ironie et on ne peut s’empêcher d’adhérer à son pessimisme.